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Pour cette toute première édition d’Au Comptoir, nous allons nous intéresser à la notion de commencement, de début. Et s'il est bien un sujet que le monde du vin commence à peine à appréhender alors qu’il est d’une incroyable puissance, c'est celui de l'Intelligence artificielle.
On le sait bien, nous autres amoureux du vin, on a toujours un train de retard. Parce que la tradition c’est important et que le bon sens agricole dicte la main (droite) comme étant l’outil le plus fiable de l’homme, que ferions-nous d’un cerveau fait de câbles et de nerfs optiques ? L’intelligence artificielle, “ça détruit des métiers”, “c’est trop compliqué” et surtout : “ça sert à rien”.
Alors je me propose de vous expliquer de quoi demain sera fait, niveau IA. Parce que pendant qu’on est là à siroter notre verre accoudé au Comptoir, d’autres se sont mis au boulot pour créer des algorithmes capables de lire dans les grappes comme dans un livre ouvert.
On ne va pas explorer tout le champ des possibles parce que Leslie m’a demandé d’écrire un article et pas un livre, mais voici ce que pourrait donner l’IA appliquée au monde du vin d’ici une vingtaine d’années, perspective caviste :
La cartographie du quartier est formelle : depuis l’ouverture de la résidence étudiante à 50 mètres de votre boutique, les tendances de consommation ont changé. Il s’agirait de s’adapter ! L’outil conseille de diminuer de 6% l’assortiment de champagne pour proposer davantage de bières ainsi que quelques références de jus de kiwi vodkaisé, la nouvelle hype des jeunes. Problème : vous n’y connaissez rien en jus de kiwi, et même pas sûr que ça vous intéresse. L’outil vous pousse quelques articles vidéos, vous les regarderez à tête reposée histoire de vous former au sujet.
Vous vous installez devant votre ordinateur et lancez votre logiciel de sourcing : “jus de kiwi vodkaisé français à moins de 10€”. Quatre lignes apparaissent. Vous regardez les fiches vidéotechniques, deux d’entre elles vous semblent intéressantes. Les échantillons arriveront dans deux jours. Si ça se trouve, c’est pas mauvais… La sonnette de la boutique retentit. Une pop up s’ouvre avec le profil client d’un certain “Fabrice”. Vous le connaissez bien, c’est un habitué.
Vous descendez l’escalier de bois : “Bonjour Fabrice, que puis-je faire pour vous ?”
“Salut, j’ai un date ce soir, voici l’identifiant crypté de la personne.”
Vous scannez les deux codes qui vous sont présentés. Trois casiers s’illuminent dans votre boutique, chacun présentant un taux de compatibilité d’au moins 85% avec les goûts des deux protagonistes. D’expérience, le casier 47 est parfaitement adapté pour un date, vous le désignez à Fabrice. Le prix s’est d’ailleurs affiché sur ses lunettes. Il dépose son empreinte digitale sur l’une des branches, déclenchant le paiement et l’ouverture du casier par la même occasion. Ce dernier contient une cuvée, un diagramme des notes de dégustation qui s’adapte au niveau du consommateur, trois suggestions d’accord (dont 0% de lièvre à la royale) et deux capsules vidéo (une sur le vigneron et une sur la région de production).
Depuis que vous avez mis ce système en place, somme toute assez basique pour une cave, le taux de satisfaction est passé à 97%. Et, surtout, il vous permet de vous concentrer sur ce que vous aimez faire : dénicher les futures pépites du vignoble. Vous passez la majeure partie de votre temps chez les vignerons d’ailleurs, et ce pendant que la boutique est ouverte 24/24. Sans vous, Fabrice aurait consulté les écrans tactiles des trois casiers pour faire son choix. Un peu plus long, mais vous êtes à peu près sûr que le 47 l’aurait emporté. Fabrice est d’ailleurs en train de valider l’une des trois recettes et la liste des ingrédients est mise automatiquement à jour, prenant en considération les stocks de son frigo et ses compétences culinaires.
“Bonne soirée Fabrice, vous me direz ce que vous en avez pensé !”
L’accord en question du casier 47 ? Vous n’allez pas me croire, et pourtant... Un Malbec - avec une Tartiflette, accord rendu célèbre suite à la crise de nerf filmée du sommelier vieille école qui s’était offusqué de cette association contre nature… pourtant plébiscitée par les gens qui ont juste envie de kiffer leur moment sans se faire juger.
Et si plus d’intelligence artificielle pouvait signifier moins d'humains aux idées arrêtées et plus de machines aptes à comprendre vos goûts ?
Dit autrement : plus de plaisirs et moins de dogmes ?
Par Diane Souquière

Ndlr : si cette projection vous fait flipper, vous n’êtes pas seuls, certains d’entre nous aussi à la rédac sont ultra mal à l’aise, surtout Leslie, qui allez savoir pourquoi, bloque un peu (beaucoup) avec la nouveauté technologique d’un point de vue général. Mais après avoir lu 1984 de George Orwell, écrit en 1949 avec cette projection qui paraissait encore surréaliste à nos lecteurs des années 80, et qui paraît si proche du réel aujourd’hui, on pourrait croire que Diane lit dans le futur comme dans un verre vide. Et si Diane était notre Orwell du XXIe siècle ?
